
La fréquentation des médecins, des personnels de santé, des établissements du même nom devient de plus en plus régulière quand on avance en âge : ce sont des expériences très souvent utiles et nécessaires qui permettent de mesurer une situation sanitaire, sociale, mais aussi politique.
Un progrès régulier ?
Il est vrai que les progrès de la science, le rôle prépondérant de la Sécurité sociale, la capacité des personnels à faire face à des situations de plus en plus difficiles, l’allongement de la durée moyenne de vie peuvent (?), pouvaient, diraient les plus prudents, laisser croire à un progrès, disons, régulier. Cette image d’un milieu protecteur est encore largement diffusée à l’international : elle contribue à y rendre la vie plus humaine et à attirer beaucoup de ceux qui ne jouissent pas chez eux des mêmes protections.
Les grands principes « blackboulés »
L’ordonnance du 4 octobre 1945, sous l’égide d’Ambroise Croizat a créé la Sécurité sociale. Les politiques réactionnaires et antisociales, depuis des décennies, ont tout mis en œuvre pour la contrecarrer. Elles n’ont eu de cesse d’en réduire, d’en freiner la portée, d’en restreindre les grands principes, universalité, unité, uniformité, gestion par les représentants des assurés…
En 1967, sous Pompidou, le régime général est divisé en trois branches, le patronat dispose de 50 % des voix. En 1976, premiers déremboursements, augmentation du ticket modérateur ; en 1983, c’est le forfait hospitalier, en 1985 avec le nouveau code de la mutualité ouverture de la couverture santé à la concurrence ; création de la CSG en 1990 par Michel Rocard… Et ainsi est détricotée une loi essentielle. Cela ne s’arrêtera pas.
Un luxe prohibitif
La sécu est devenue un luxe, elle coûte cher, il faudra payer de plus en plus. On formera moins de médecins, on développera tout un secteur privé qui fera les choux gras sur notre dos et pas seulement le dos d’ailleurs, tout y passe. Rien ne doit lui échapper. Les établissements libéraux font une concurrence forcenée à l’hôpital qui voit ses postes fermés, ses personnels pressurés. Le service public tente de survivre, les déserts médicaux se sont multipliés, trouvé un médecin référent tient du miracle. Les pratiques les plus contestables, comme celles des dépassements d’honoraires deviennent, monnaie courante, c’est le cas de le dire. Les rendez-vous sont de plus en plus éloignés. Chacun tente de préserver son domaine : l’attachement des professions médicales au libéralisme reste très fort, comme garantie de leur pouvoir d’achat et de leur liberté d’installation, même si elles subissent les contrôles d’une sécu qui tente de freiner les dépenses. L’industrie pharmaceutique ne fait pas trop parler d’elle, mais elle préserve des marges de manœuvre qui lui rapportent gros. Les malades sont aussi régulièrement sur la sellette, leurs droits sont réduits. Le recours aux mutuelles est souvent là pour faire passer la pilule et rendre un peu supportables ces dégradations.
Il est donc difficile de se faire soigner, c’est onéreux. Certains s’en privent. C’est une course d’obstacles où les injustices sociales reviennent à grands pas, où rien n’est jamais acquis. Ambroise Croizat devrait revenir donner à la sécu une piqure de rappel. Ça lui ferait du bien ! À nous aussi !
Jean-Marie Philibert