Nous sommes actuellement sous le signe de l’Intelligence Artificielle. Du moins d’une version englobante de ce complexe de technologies qui envahit notre univers. Mais que recouvre donc l’I.A ?

Aujourd’hui la vulgate l’I.A. – intelligence artificielle – opposée à notre intelligence qui, elle, serait « naturelle », est présentée de manière biaisée, voulant nous faire croire que nous risquons d’être bientôt, peut-être même déjà, sous la coupe, voire totalement menacés, par cette supra-technologie prête à totalement nous échapper.

Mais que savons nous vraiment, à part chatbtp et les Gafa, de cette fameuse intelligence artificielle ? Tout est fait pour nous en donner une version biaisée, voire mystérieuse.

Déjà presque cent ans

L’I.A. n’a pas surgi brusquement au cours des 10 ou 20 dernières années sous une forme définitivement achevée. Ses prodromes remontent à presque 100 ans. Avant même la création des ordinateurs en 1936, dans un ouvrage fondamental, Turing avait établi la théorie d’une machine universelle à traiter l’information (1). Il y eut ensuite les travaux de Shannon (1937) puis ceux d’un scientifique hongrois Von Neumann (1951), menés alors qu’apparaissaient aux Etats -Unis les premiers ordinateurs. Commercialisés là-bas vers 1950, ils n’apparurent que timidement en France : nous en avions 2036 en 1959, 39516 en 1967. Dans le même temps se développaient la cybernétique, science des communications et de la régulation dans l’être vivant et la machine, et la notion d’algorithme. Les auteurs marxistes et communistes après un court temps de scepticisme, s’intéressèrent très vite à cette science nouvelle, à ses diverses applications et à sa portée philosophique. C’est ainsi que Luce Langevin (2) écrivait en 1968   dans la revue La Pensée un long article particulièrement bien documenté et qui fait date intitulé « Les machines à penser et la pensée.»

En premier lieu l’industrie

Avant l’apparition d’Internet, l’automation fut surtout développée dans le domaine industriel, avec d’une part les robots, outils individuels programmés pour fonctionner sans manipulation directe (dont le domaine et le nombre se sont considérablement répandus depuis), mais surtout les systèmes automatisés complexes, à la fois autonomes et rétroactifs, capables de réorganiser eux-mêmes leur action. Dès cette époque, les sociologues ont étudié les effets de ces nouveaux systèmes sur l’organisation du travail et la répartition des rôles entre les opérateurs et ces systèmes entièrement nouveaux. En France, dès le début des années 60, une équipe du CNRS dont je faisais partie a entrepris de telles études, sous la direction de Pierre Naville et les a poursuivies plus de trente ans.

L’approche de ces sujets a pris diverses formes : Révolution scientifique et technique, révolution numérique, révolution informationnelle, pour arriver aujourd’hui à l’I.A.

L’explosion du nombre de données (les data)

Ce qui a considérablement fait avancer les choses c’est l’explosion incommensurable du nombre de données – en anglais les data – fournies aux ordinateurs et aux systèmes techniques qui atteignent ainsi une capacité démesurée. Au point que l’on puisse désormais parler, à tort ou à raison, d’intelligence artificielle se substituant à la nôtre. Au point ou non de la dépasser ? la question se pose et est infiniment débattue. En discuter ici relèvera d’un autre propos.

Ce que nous pouvons néanmoins dire d’emblée, c’est que l’I.A. créée par les humains devrait, doit, continuer à être régulée et contrôlée par eux. Certes. Ce ne serait pas toutefois la première fois que des machines ainsi créées, dépassent les capacités que l’on en attendait.

Mais ce qu’il faut surtout considérer, avant d’aller plus loin, c’est qui domine la production de l’I.A. Qui ? principalement, presque exclusivement, ceux qui possèdent les moyens de production et assurent leur domination par la subordination de ceux qu’ils emploient. J’ai dit les capitalistes. Le capitalisme confronté à une crise qui le pousse à tout marchandiser et il dispose de puissants pouvoirs au point que les scientifiques, à l’origine des créations technologiques, se plaignent d’être entravés dans leur travail par l’exigüité des moyens financiers dont ils disposent. En très grande partie maître du jeu, le capitalisme a créé une nouvelle division du travail dont nous reparlerons, et qui n’a pas pour objet principal de réduire les travaux humains les plus pénibles. Pour n’en donner qu’un exemple et n’insister que sur l’extrême : pour faire fonctionner les systèmes d’IA. (chatbtp, par exemple) les exceptionnellement nombreuses data nécessaires doivent être ajustées, nettoyées, rendues utilisables ; Qui le fait ? Un nouveau sous-prolétariat au Kenya, à Madagascar et dans d’autres pays semblables, un travail rémunéré par exemple 21 000 shillings kenyans par mois (environ 150 euros).

Dois-je ajouter que, dans un tel contexte,  les revendications des syndicats et du PCF (3) pour que les travailleurs obtiennent un droit véritable à contrôler et contribuer à la création et la mise en place de de leur travail est plus que jamais d’actualité. Avec l’I.A et pour en rester maîtres.

Yvette Lucas – (À suivre)

• (1) Alan Turing, On computable number with an application to the Entsheidingsproblem.
• (2) Luce Langevin, Les machines à penser et la pensée. La Pensée ,1968.
• (3) PCF,14 juin 2023. L’intelligence artificielle au service de l’humain. La France doit construire son propre modèle !