Covid-19 et migrants. Violences inouïes à la frontière gréco-turque, régularisation de sans-papiers en Italie, réouverture des frontières allemandes aux réfugiés. Peut-on encore parler de politique migratoire européenne ?
On s’en souvient, il y a quatre ans un accord était signé entre l’Union européenne et la Turquie. L’objectif pour l’UE était de sous traiter à la Turquie, moyennant six milliards d’euros, la gestion des migrants qu’elle ne voulait pas en Europe. Mais début mars, Erdogan a ouvert ses frontières communes avec la Grèce en représailles aux critiques de l’Europe sur l’offensive turque en Syrie. Des milliers d’exilés se sont alors rués aux frontières gréco-turques (9.300 depuis le début de l’année). Aujourd’hui, plus de 40.000 personnes sont entassés dans et autour des centres « d’accueil » des îles de la mer Egée. L’exaspération de la population locale a permis à des groupes d’extrême droite, soutenus par des néo-nazis du reste de l’Europe, de prendre le contrôle. Désormais, ils terrorisent les citoyens qui soutiennent les réfugiés et le personnel des ONG. Mais depuis le confinement dû au virus, on assiste à une escalade de la violence sans précédent : naufrages provoqués, projection de gaz asphyxiants malgré la présence d’enfants, tirs à balles réelles. Deux jeunes syrien et pakistanais en sont morts. Le 18 mars, les garde-côtes grecs ont arrêté un bateau contenant 36 personnes dont une dizaine d’enfants. Ils ont coupé le moteur mais il n’y a eu aucune tentative de sauvetage de la part des organisations sur place, l’agence des Nations unies pour les réfugiés entre autres. Dans ce contexte, l’équipage danois a refusé d’obéir aux ordres de Frontex (police européenne aux frontières) de refouler hors des eaux territoriales grecques les passagers d’une embarcation interceptée au large des côtes. Ce qui se passe à la frontière gréco-turque prouve que les principes et les valeurs qui guident le droit international et européen ont volé en éclats.
En Italie
A l’inverse, l’Italie s’apprête à régulariser 200.000 sans-papiers. Enfin un peu d’humanité dans ce monde ? En fait, l’agriculture italienne manque de bras. A cause du confinement, les 300.000 travailleurs saisonniers qui viennent traditionnellement de l’est de l’Europe sont restés bloqués chez eux. L’appel à venir prêter main forte aux agriculteurs, lancé aux Italiens chômeurs, étudiants et indépendants n’a pas suffi à combler le déficit. L’instauration prochaine de « couloirs verts » pour faire venir de Roumanie 110.000 saisonniers restera insuffisant. La ministre de l’Agriculture évalue la pénurie de main d’œuvre saisonnière entre 270.000 et 350.000. Sans eux, 40% des produits de la terre pourraient ne pas être récoltés. Or l’Italie, deuxième producteur de fruits et de légumes, avec un chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros, ne peut se le permettre. La ministre a donc proposé d’adopter un décret pour régulariser 200.000 clandestins sur les 600.000 qui y travaillent déjà, sans contrat de travail et pour des salaires de misère.
Ailleurs en Europe
L’Allemagne accueille chaque année 300.000 travailleurs saisonniers venant de Roumanie et de Pologne. En raison du confinement, elle leur a tout d’abord interdit l’accès à son territoire. Mais face à la pénurie de main d’œuvre, Berlin vient d’autoriser leur entrée pour assurer les récoltes. Par ailleurs les autorités allemandes ont annoncé être volontaires pour accueillir 1.500 enfants sur les 5.500 actuellement bloqués sur les îles grecques.
Le Portugal quant à lui a décidé de prolonger le droit des immigrés en cours de régularisation jusqu’au 30 juin.
Que va faire la France ? Visiblement l’appel aux enseignants pour aller ramasser les fraises n’a pas suscité d’engouement ! Jusqu’ici, seul le préfet de Seine-et-Marne a fait appel aux réfugiés pour compenser le manque de main d’œuvre étrangère. Mais aux seuls réfugiés en situation régulière. Le gouvernement français va-t-il laisser pourrir les récoltes en se cramponnant à sa peur de provoquer un afflux d’étrangers ? Ou va-t-il régulariser les sans-papiers ? En tout état de cause, il apparaît une fois de plus que chaque état européen opte pour sa méthode et que l’UE est de plus en plus une coquille vide.