
Lorgnant sur des milliards de tonnes de matière première, Donald Trump a signé jeudi 24 avril un décret destiné à ouvrir l’extraction à grande échelle de minerais dans les grands fonds océaniques, y compris en eaux internationales, une remise en cause de l’Autorité internationale des Fonds marins (AIFM).
En clair, ce texte demande au secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, « d’accélérer l’examen » de candidatures « et la délivrance de permis d’exploration et d’extraction » de minéraux « au-delà des juridictions » américaines.
Ce passage en force des États-Unis doit alerter sur les dégâts qu’aurait une telle exploitation sur les écosystèmes marins. En se lançant dans l’extraction minière en eaux internationales, le gouvernement étasunien ouvre la boite de Pandore. Des États et des nombreuses entreprises ont déjà exprimé leur volonté d’exploiter les sols marins, malgré les sérieux avertissements des experts contre un grand impact environnemental. Car les sous-sols des fonds marins regorgent de matières premières.
Il s’agirait d’exploiter des nodules polymétalliques. Des galets, riches en minerais comme le cobalt, le nickel ou le manganèse très utilisés dans l’industrie automobile. Ces nodules servent à la construction des batteries électriques, et sont donc très convoités par des industriels sans scrupules comme l’entreprise canadienne, « The Metals Company » qui a annoncé son intention de contourner l’AIFM en demandant prochainement le feu vert des États-Unis pour commencer à exploiter des minerais en haute mer.
Elle vient de recevoir le soutien du président américain Donald Trump pour exploiter les minerais rares des fonds marins profonds. L’extraction de ces éléments situés à plus de 4 000 mètres de fonds est régulièrement dénoncée par les scientifiques qui craignent la destruction d’un écosystème riche et fragile qui reste encore à découvrir.
Aucune extraction minière commerciale n’a encore eu lieu dans les fonds marins, aux États-Unis ou ailleurs. Certains États ont, en revanche, déjà octroyé des permis d’exploration dans leurs zones économiques exclusives, notamment le Japon et les îles Cook. Le gouvernement Trump estime que l’extraction minière en eaux profondes pourrait augmenter de 300 milliards de dollars le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis, sur 10 ans et affirme vouloir que les États-Unis devancent la Chine dans ce domaine.
La résistance s’organise
En juillet 2024, le gouverneur démocrate d’Hawaï, Josh Green, a ratifié un texte interdisant l’extraction minière dans les eaux territoriales de cet État situé au beau milieu du Pacifique. De nombreuses organisations de défense de l’environnement s’opposent à la collecte de minéraux, qu’elles accusent de menacer gravement l’écosystème marin. « Trump est en train d’exposer l’un des écosystèmes les plus fragiles et méconnus à l’exploitation industrielle incontrôlée », a commenté Emily Jeffers, avocate du Centre pour la diversité biologique (CBD), rappelant que plus de 30 pays sont favorables à un moratoire. « La haute mer nous appartient à tous », a-t-elle ajouté, « et la protéger est un devoir pour l’humanité ».
La Chine a estimé, par la voix Guo Jiakun, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, que ce projet de la Maison Blanche d’ouvrir l’extraction à grande échelle de minerais dans les grands fonds océaniques, y compris en eaux internationales, « enfreint le droit international et nuit aux intérêts de la communauté internationale dans son ensemble ».
Face aux risques environnementaux considérables que fait courir cette exploitation, une coalition d’entreprises impulsée par le Fonds mondial pour la nature (WWF), s’est engagée à ne pas extraire de minéraux des fonds marins. Elle s’engage également à exclure de tels minéraux de leurs chaînes d’approvisionnement et « à ne pas financer les activités d’exploitation minière de ces fonds marins », explique Jean Burkard, directeur du plaidoyer de WWF France.
Parmi les signataires, on retrouve de grands constructeurs automobiles comme Renault, BMW ou Volvo, ainsi que des géants de la Tech, dont Apple, Google et Samsung. Dans le monde de la finance, la Deutsche Bank, le Crédit Suisse et la Banque européenne d’investissement ont clairement indiqué qu’elles ne financeraient pas ce type d’exploitation.
Plus frileuses, certaines banques, dont Allianz France et la Banque Postale, mettent en avant des « risques politiques, règlementaires et de réputation » face à ces exploitations. Mais pour autant, elles n’ont pas rejoint la coalition lancée par WWF et ne se sont pas engagées à ne pas investir dans des activités liées à l’extraction minière sous-marine. La Banque Postale a pourtant fait de son engagement environnemental un principe et un argument de marketing.
En revanche, 37 institutions financières – représentant 3 300 milliards d’euros d’actifs – ont signé une déclaration demandant la pleine compréhension des risques environnementaux liés à l’exploitation de ces fonds marins.
Les « abysses ne sont pas à vendre » et la haute mer « n’appartient à personne », a déclaré lundi 28 avril l’ambassadeur français des enjeux maritimes Olivier Poivre d’Arvor. « Personne ne peut s’arroger le droit de détruire les océans, surtout ceux sur lesquels ils n’ont aucun droit territorial. C’est l’application stricte du droit international », a-t-il poursuivi au cours d’une conférence de presse en ligne, rappelant la position de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.
La France, qui prône l’interdiction d’exploitation des fonds marins, a réuni une coalition de 32 pays favorables à un moratoire, a rappelé l’ambassadeur. À l’approche du sommet des Nations Unies sur les océans à Nice du 8 au 13 juin, le président Emmanuel Macron a commandé un rapport scientifique sur l’exploitation des fonds marins, qui a été présenté lundi.
Ce rapport, signé par une vingtaine de scientifiques, recommande « un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes pendant au moins 10 à 15 ans, ou jusqu’à ce que des connaissances suffisantes soient disponibles pour prendre des décisions éclairées ».
« Il est urgent d’attendre, de ne pas y aller tout de suite », a souligné l’auteur du rapport, Bruno David, naturaliste et ancien président du Muséum national d’Histoire Naturelle. Le rapport pointe que l’activité d’extraction minière « générerait de puissants panaches de sédiments pouvant s’étendre sur des dizaines à des centaines de kilomètres carrés », transportant « des métaux lourds susceptibles d’impacter toute la chaîne alimentaire ».
« La science doit guider nos choix », a estimé Bruno David, fustigeant « une administration à Washington qui est dans le délire ». « Le fait de rejeter les données scientifiques, ça semble être devenu une sorte de nouveau sport outre-Atlantique, (…) certains feraient mieux de se contenter de jouer au golf plutôt que de pratiquer ce nouveau sport », a-t-il ajouté.
Dominique Gerbault