LE TRAVAILLEUR CATALAN

Cinéma

Oui, son précédent film, The French Dispatch, nous avait un rien déçu. Mais bon, attends-toi au pire, tu pourrais être surpris… ou non ?

C’est une très petite ville américaine, plus U.S., y a pas – mais façon Disneyworld, peinture fraîche sur les bungalows à lattes, sierra en vrai carton-pâte dans le faux lointain ; une ville perdue dans le désert des grands espaces. Si son cratère de météorite vaut le détour, les essais nucléaires voisins mériteraient un écart prudent ; sans parler d’étranges phénomènes, qui mobilisent une armée aussi obtuse que catégorique dans sa nullité. Un groupe d’humains disparate se retrouve confiné (tiens ?) dans ce paradis du faux-semblant : des enfants surdoués, sauf pour les relations humaines ; des adultes presque aussi paumés, tout en feignant de tout maîtriser ; les cendres de maman dans un tupperware ; et un alien…

Cela du moins pour une partie du film, aux couleurs pastel très kitch ; car Anderson a intriqué là-dedans une autre histoire, celle d’une pièce de théâtre sur le même sujet, dans un noir et blanc de ciné-club. Les acteurs évoluent d’un monde à l’autre, parfois tout juste identifiables – les plus connus n’étant pas les mieux servis. Cela pourrait être artificiel ; mais si on s’y abandonne voluptueusement, c’est fête ! D’abord parce que rien n’est laissé au hasard : la rigueur géométrique des cadrages et surcadrages frontaux est impressionnante, et étonnamment comique. Les acteurs, englués dans la logique décalée de ce monde, sont contraints de se montrer surtout de face ou de profil ; et les rares diagonales attirent l’attention sur les 2e et 3e plans, où il y a des choses à voir : cette stylisation radicale évoque l’univers de M. Hulot, ou la ligne claire de la BD belge.

Car c’est une vraie bonne comédie, avec références à Tim Burton parfois, et aux cartoons de Chuck Jones (ne partez pas avant la toute fin : petite surprise de Beep-Beep …), pleine de tendre indulgence pour tous ces cinglés assez inoffensifs. Un montage au cordeau, une construction du récit aussi subtile que déroutante, une bande-son maligne (jusque dans le timbre des voix) : comme le dit un des personnages, « je ne comprends toujours rien à la pièce », mais ça n’a aucune importance : ce qui compte, c’est l’insigne privilège d’entrer dans ce monde-là, nous aussi…

Tourné en Espagne, ce faux produit américain est bien l’œuvre fine d’un cinéaste venu d’Europe du Nord, qui a aussi vécu en France, et dispose de nettement plus de neurones et de cœur qu’un trumpiste à l’assaut du Capitole. Alors, surpris ?  

G.D.

 
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