LE TRAVAILLEUR CATALAN

Le mythe moderne du progrès de Jacques Bouveresse

Livre. Disparu en 2021 Jacques Bouveresse nous a laissé ce bref ouvrage (moins de 100 pages) intitulé Le mythe moderne du progrès.

. Dans le passé, objet de confiance, sans doute mêlée d’illusions, le progrès inquiète aujourd’hui et fait l’objet de nombreuses controverses.

Pour traiter de ce sujet qui fait débat, Bouveresse se réfère à quelques auteurs dont Wittgenstein, son inspirateur bien connu, non sans donner sa propre interprétation et faire ainsi naître des pistes variées. Les références sont nommées dès le sous-titre : La critique de Karl Kraus, de Robert Musil, de Georges Orwell, de Ludwig Wittgenstein et de George Henrik von Wright. Outil pédagogique s’il en est, l’ouvrage émane d’abord d’une conférence donnée le 5 octobre 2001 à l’institut finlandais de Paris lors d’un colloque consacré à Georg Henrik von Wright. Parue ensuite, cette conférence est complétée par divers apports, celui notamment prononcé sous un titre significatif : « Temps des sciences, trajectoire des sociétés », devant l’Institut des hautes études pour la science et la technologie.

Quelques citations d’auteurs du milieu du 19e siècle : Rodolphe Töpfer, Johann Nepomuk Nestry, le Dr Puff, une plus ancienne de Georg Christoph Lichtenberg nous introduisent dans le sujet. Citons Lichtenberg « Quand j’apprends la proposition selon laquelle « la force qui attire dans l’ambre frotté est la même qui tonne dans les nuages », alors j’ai appris quelque chose dont l’invention a coûté aux hommes quelques milliers d’années ».

L’image du mythe fait surgir la complexité, voire l’incertitude. Attendons-nous à une pluralité de sens.

Proposer sans conclure

Par le biais des divers auteur cités et leurs différences, sinon leurs divergences, on saisit que le progrès est à la fois princeps et infiniment variable. Le rôle de la connaissance scientifique apparaît majeur. Il pose pourtant de multiples problèmes. L’un d’eux peut surgir de la différence, sinon l’opposition, entre la science comme connaissance et la science comme pouvoir. On oppose aussi la science à la parole. L’usage de la science contre l’autorité et l’empire de la parole, non seulement s’expriment différemment, mais évoluent dans le temps. A une forte croyance au progrès comme moyen de résoudre les problèmes de l’humanité est venue se substituer l’idée (pour Von Wright par exemple) d’un rationalisme démythifié. Encore, remarque Bouveresse, qu’il n’est pas certain qu’on ait réussi jusqu’à présent à trouver un mode de démythification qui soit réellement libérateur et suffisamment distinct du rétablissement sous une forme ou sous une autre d’une autorité ancienne, en l’occurrence celle que la Parole avait exercée pendant longtemps sur la connaissance et l’action.

Cette relativité notée, notée aussi l’idée qu’aujourd’hui le progrès ne progresse plus guère que dans les moyens, plusieurs questions, traitées dans les chapitres suivants permettent de poursuivre l’analyse.

Premier point en forme de question : les critiques du progrès sont-ils ses ennemis ? Deuxième point : le progrès comme forme de la civilisation. Trois : le mythe moderne du progrès.

A la suite de ces chapitres qu’on lit avec intérêt, vient celui qui prend forme de conclusion : Que peut-on faire aujourd’hui pour la cause du progrès ?

Ici encore Bouveresse cite ses auteurs : Zeev Sternhell (Histoire et lumières), attaché aux illusions progressistes, un point de vue qui lui sied. Même s’il ne faut pas négliger la menace de deux fondamentalismes : le fondamentalisme de marché et le fondamentalisme positiviste (Naomi Oreskes). Von Wright, lui, joue sur les termes de modernité tardive et de postmodernité, disant aussi que l’on peut prendre le progrès come une tâche, mais une tâche éminemment critique. Leibniz lui-même est cité. Bouveresse, en ce qui le concerne s’interroge sur le terme de postmodernité, et se demande quel genre de service la critique du progrès peut rendre aujourd’hui à la cause du progrès elle-même. Il termine, ayant cité Clément Rosset, qui nuance sur un plan fondamental l’intérêt qu’il porte au progrès, et sans commenter davantage, en évoquant de possibles illusions car « le mythe moderne du progrès implique que le progrès ne comporte justement pas et ne connaîtra pas de limites ». Tout est dit, rien n’est définitivement dit. A d’autres de poursuivre.

Yvette Lucas

Jacques Bouveresse Le mythe moderne du progrès Adobe-2023

 
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