
Archipel
Inspirée des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, « Quartett », pièce de Heiner Müller, a subjugué le public du Grenat.
Le texte de Quartett ne fait que vingt-huit pages, son interprétation sur scène dure une heure vingt, mais que d’intensité dans si peu de phrases !
La pièce est de Heiner Müller (1929-1995), dramaturge d’Allemagne de l’Est, connu pour ses réécritures de textes anciens, sa fascination pour l’Histoire, qualifié, lors de sa disparition, comme « le poète des déchirures du siècle. »
Depuis sa création en 1980, Quartett a été mise en scène une bonne quinzaine de fois, la réalisation présentée à l’Archipel la semaine passée est de Jacques Vincey, directeur du centre dramatique national de Tours.
Deux personnages, Merteuil et Valmont, sont sur scène, ils sont en réalité quatre, les deux autres, Cécile de Volanges et madame de Tourvel n’existant que dans le dialogue. D’où le titre qui renvoie au quatuor.
L’auteur indique que l’action se déroule sur deux périodes, « un salon d’avant la Révolution française et un bunker d’après la troisième guerre mondiale. » Ce qui n’apparaît pas du tout dans la mise en scène. Avec un décor magnifique de tentures beige doré, Valmont et Merteuil, perruques en pains de sucre et teint blafard, s’affrontent au fil d’un texte qui est un flux ininterrompu de cruauté, de trivialité, de pornographie. En cours de route, ils échangent leurs personnages, se dépouillent de leurs habits… L’argument est ainsi résumé par l’auteur : « Merteuil joue Valmont qui joue Tourvel, avant qu’elle ne devienne Volanges qui succombe sous les mains de Valmont.
Puis Valmont prononce les dernières paroles de Tourvel empoisonnée par Merteuil jouant Valmont. Mais c’est bien Valmont qui meurt, tandis que Merteuil reste seule.» Un huis clos terrifiant et vertigineux autour de la séduction comme possession, anéantissement. Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey, les deux interprètes, sont tout simplement géniaux.
N. G.