Cinéma
L’institut Jean Vigo projette le 15 décembre, dans le cadre d’un ciné-concert « Trois dans un sous-sol », film de 1927 issu des productions d’État soviétiques. François Amy de la Bretèque*, universitaire, nous en parle.
Pouvez-vous présenter les productions d’État soviétiques ?
Le cinéma est nationalisé en URSS dès 1919. Sont créés des studios d’État (Mosfilms) et des filiales dans les républiques. Au début subsistent certaines structures indépendantes qui vont disparaître avec le premier plan quinquennal (1928-1933) lequel apparaît juste au moment où ailleurs dans le monde s’opère la transition du muet au parlant. La planification est la principale explication de la prolongation du cinéma muet dans le pays : l’équipement n’y avait pas été prévu.
Les années postrévolutionnaires ont été une période d’expérimentation et d’invention dans tous les arts, le cinéma inclus : Poudovkine, Koulechov, Eisenstein, Vertov et d’autres en sont les exemples les plus connus et mondialement célèbres. Ce cinéma a été révélé au monde en 1926 avec la projection dans les ciné-clubs et circuits militants du Cuirassé Potemkine. Mais la production reste faible. On ne tourne que 60 films en 1924-25 dont tous ne relèvent pas de l’expérimentation : il faut aussi distraire le public, “faire rire les bolcheviks”. C’est alors que le genre comique a été particulièrement florissant, et cela en partie pour des raisons de contexte politique. Entre la fin de la NEP et la promotion du réalisme socialiste comme doctrine officielle en 1929, un bref “interrègne” ouvrit une fenêtre de liberté.
Le film, Trois dans un sous-sol ?
L’année où sort le film de Mikhail Romm (1927), on est tout à la fin de cette période d’invention, de relative liberté, dans la forme comme dans le contenu.
Trois dans un sous-sol met en scène des ouvriers ordinaires dans leur vie quotidienne marquée par les difficultés de logement et les chantiers qui bouleversent la ville (Moscou). Une émigration intérieure vient grossir la population. Le chef d’équipe Kolia accepte d’héberger son ancien camarade Volodia qui a trouvé un emploi de typographe. Les deux jeunes héros masculins doivent cohabiter avec la femme du premier, Lioudmila, qui est au foyer mais souhaite acquérir son indépendance. Un trio amoureux se met rapidement en place. La vie à trois est joyeuse, animée par une liberté de mœurs qui étonne un peu aujourd’hui mais qu’il faut voir comme le reliquat du libertinage des débuts de la révolution.
La fin du film aborde la question de l’avortement qui lui confère un ton plus grave, même si traitée sur un mode caricatural. Avec le temps elle prend aujourd’hui un sens étonnamment féministe. Liudmila est une héroïne émancipée et débrouillarde qui prend son indépendance au dénouement. Le tournage largement en extérieur a pris avec le temps une forte valeur documentaire et une aura poétique, deux domaines où le cinéma soviétique a toujours excellé.
Le film, muet, sera donné en ciné-concert avec Virgile Goller, accordéoniste et Marielle Rouifeld, violoncelliste et chanteuse.
Recueilli par Nicole Gaspon
*François Amy de la Bretèque est professeur émérite en études cinématographiques à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3.