Théâtre

Marianne Basler met en scène et interprète « L’événement » d’Annie Ernaux. L’avortement décrit comme jamais.

Annie Ernaux a avorté en 1964. Trente-cinq ans plus tard, elle met des mots sur cet « événement ». Le livre est publié en 2000. La comédienne Marianne Basler en signe aujourd’hui l’adaptation théâtrale, proposée par L’Archipel la semaine passée.

Un spectacle d’une heure, ramassé, d’une intensité rare. À l’évidence, la comédienne-metteuse en scène ne se contente pas d’interpréter, elle vit ce texte, elle fait partager une expérience. Sur scène, presque rien : une table et une chaise. Seule, vêtue de noir, dans une semi-obscurité, Marianne Basler raconte. Le public suit, en apnée, le récit d’une expérience traumatisante et fondatrice pour celle qui l’a vécue.

Des courtes phrases, sèches, sans l’ombre d’un pathos, sans affect. Pas un nom ni un prénom, juste des initiales. Une mise à distance qui fait de cet événement quelque chose d’universel. Ces phrases disent tout de l’angoisse, de l’atroce solitude d’une jeune femme confrontée à une grossesse non désirée dans les années 60. Une étudiante de milieu modeste, sans relations ni adresses… contrainte à se mettre hors la loi. Contrainte à mettre sa santé, sa vie même, en jeu. Situation poignante et révoltante, qui ne peut que légitimer la légalisation de l’avortement, obtenue si longtemps après.

Une situation qui, Annie Ernaux le dit clairement, est aussi une affaire de classe sociale : « j’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi, c’était, d’une certaine manière, l’échec social », écrit-elle. Annie Ernaux a pu transcender le traumatisme par l’écriture : « les choses me sont arrivées pour que j’en rende compte », conclut-elle.

Un texte à lire et relire absolument. L’interprétation sublime de Marianne Basler en offre une nouvelle approche. Comme elle le déclarait la veille, lors d’une rencontre à l’Institut Jean Vigo, jouer ce texte, « c’est rendre la dignité et la liberté aux femmes, mais aussi aux hommes. »

Nicole Gaspon

L’événement d’Annie Ernaux, éd. Gallimard, disponible en Folio.